La période post
coup d’État d’avril 2012 a définitivement inscrit la Guinée-Bissau sur de
multiples dimensions géopolitiques et géostratégiques contradictoires. En ce
sens, certains observateurs imputent les balbutiements de la transition aux
luttes des blocs géopolitiques (CPLP, CEDEAO en particulier), d'autres encore
affirment que les récurrentes instabilités résulteraient de manipulations
externes. Quelque soit l'hypothèse, les bissau-guinéens demeurent les acteurs
exclusifs de la vision stratégique et géostratégique à emprunter. De facto,
la Guinée-Bissau est tiraillée entre deux environnements géopolitiques: un de
voisinage (CEDEAO, UEMOA) et l’autre de fraternité (CPLP, PALOP). Dès lors,
doit-elle servir de champ de bataille géopolitique? Ne devrait-t-elle pas
chercher à capitaliser ses multiples appartenances géopolitiques et
géostratégiques et les traduire en opportunités de développement? Il n'y a t-il
pas un double avantage à saisir?.
En vérité, la
Guinée-Bissau s'incruste dans trois identités géopolitiques: ouest africaine
(UEMOA, CEDEAO), africaine (union africaine) et lusophone (PALOP et CPLP). Dans
chacune d'elles, existent en effet des avantages comparatifs nécessaires à la
croissance et la compétitivité économiques. En outre, la mission de l'élite
politique et diplomatique consiste à ne pas faire de la Guinée-Bissau une terre
de rencontre et de confrontation de blocs opposés.
Interagir
avec l'espace régional
La région ouest
africaine, entité de proximité géographique, représente un marché commun de
plus de 340 millions de consommateurs. Les mutations y sont rapides, brusques
et importantes. Parmi les changements en cours, l’augmentation numérique de la
classe moyenne et l'urbanisation rapide et forte (la région atteindra 160
millions d’urbains en 2015) constituent des piliers de la croissance
économique. Le Nigeria (90 millions d’urbains) et le Ghana (14 millions
d’urbains en 2015) combinent parfaitement ces deux dimensions susceptibles de
booster la dynamique économique.
Dans quelle
mesure la croissance économique et l’urbanisation massive sous-régionale
peuvent-elles être des opportunités de développement économique pour la
Guinée-Bissau?
En effet, l’émergence
d’une classe moyenne et la tendance à la hausse de l’urbanisation en Afrique de
l’ouest constituent les perspectives régionales les plus séduisantes pour la
production de biens de la Guinée-Bissau. D’abord, l’exigence en produits frais
de consommation pour cette classe qui se soucie de plus en plus de sa santé en
consommant moins de viande rouge ou importée et en ayant un regard exigeant sur
les produits imbibés d’intrants, est un atout de taille. Dans ce cas, la
Guinée-Bissau, grâce à ses richesses halieutiques surtout et à ses terres
encore fertiles (pouvant s’en passer d’intrants) peut couvrir les besoins en
protéines et en produits biologiques des urbains, en particulier des classes
aisées. Ce qui exige nécessairement une restructuration et réorganisation du
secteur de la pêche et une politique agricole intelligente.
Ainsi, dans un
futur proche, la Guinée-Bissau pourrait être à mesure de satisfaire la demande
en protéine des populations urbaines ouest africaines en constante croissance
et constituer une alternative crédible à une alimentation toxique. Son
potentiel halieutique et de terres arables lui confère naturellement une
importante part de marché sous-régional. Un autre avantage, moins visible, mais
ô combien important est celui de l'économie verte. En effet, la richesse
de sa biodiversité encore préservée devrait offrir dans un avenir tout aussi
proche, un cadre idéal de villégiature aux classes aisées et moyennes ouest
africaines. Le tourisme vert, secteur dans lequel ses atouts naturels le permettent
de gambader en tête de peloton, peut constituer à l’échelle régionale une
alternative à la pollution urbaine.
L'affirmation de
l’Afrique de l'Ouest dans l’industrie cinématographique mondiale (Nollywood
deuxième industrie de cinéma au monde après Hollywood et la montée en puissance
du cinéma ghanéen) peut aussi bénéficier à la Guinée-Bissau. Ses magnifiques
paysages représentent des cadres rêvés de tournage.
En retour, la
Guinée-Bissau peut bénéficier de produits stratégiques de ces partenaires
sous-régionaux à des prix compétitifs. Pour les hydrocarbures (même si les
prospections en cours permettent de nourrir espoir), le Ghana, le Nigeria, la
Mauritanie peuvent être des partenaires de premier choix. Le secteur
énergétique encore très déficitaire peut être redressé à l'échelle régionale.
Les pays Sahéliens de la région ne sont pas en reste dans cette complémentarité
économique. Ils peuvent par exemple satisfaire les besoins en produits frais
animaliers
En termes de
sécurité et de défense, l'espace régional est pertinent et demeure le cadre de
concertation immédiate. Les différentes circulations criminelles (trafics de
drogue, d'armes, d'êtres humains) pervertissent les frontières. Ces glissements
criminels (récemment l’interception d’une soixantaine d’enfants destinés à
l’industrie de mendicité sous-régionale, dit-on) sont puissants et rendent les
États pris individuellement stériles. En ce sens, le partage d'informations et
d'expériences constitue l’unique arme efficace pour lutter contre les réseaux
criminels transnationaux.
In fine, la CEDEAO n’est pas un ennemi (ce que beaucoup
de nos compatriotes laissent entendre), mais un partenaire qui doit être abordé
avec intelligence et pragmatisme.
Saisir la fraternité lusophone
Dans l'espace lusophone,
les avantages sont énormes. L’héritage culturel (langue portugaise) constitue
la première dimension de coopération. Au niveau du PALOP (pays africains de
langue officielle portugaise), les synergies nées des syndicats d’étudiants des
colonies à Lisbonne puis des mouvements de libération sont restées ardentes.
L’ambition de faire de la Guinée-Bissau une puissance écologique peut trouver
un satisfecit au sein du PALOP. En effet, la déforestation est liée à l’usage
du bois mort (charbon de bois inclus) comme énergie domestique. Or, dans la
même communauté de destin des pays africains lusophones, existent des
potentiels énergétiques impressionnants: Angola et Mozambique. Le Gaz du
Mozambique et de l’Angola peut, à des tarifs préférentiels, réduire l’effet anthropique
sur la biodiversité.
Les investissements
directs étrangers (IDE) de l’espace lusophone (5 milliards de dollars du fond
souverain angolais, 10 milliards pour le fond pétrolier timorais, les
investisseurs portugais, brésiliens et de Macao) peuvent contribuer de manière
décisive à la croissance économique plus que les partenaires de la CEDEAO. Les
liquidités (fonds souverains) peuvent stimuler le développement de l’industrie
extractive, de la pêche, de l’agriculture, du tourisme etc. L'expérience
brésilien dans la transformation de l'anacarde est capitale pour la
Guinée-Bissau. En effet, le Brésil peut ainsi booster la valeur ajoutée de
notre premier secteur économique et créer en même temps des centaines
d'emplois.
Dans le domaine de
l’éducation et de l'administration, la Guinée-Bissau a beaucoup à apprendre du
Portugal, du Brésil et de Macao. Le savoir-faire portugais dans le domaine du
génie civil, de l’agronomie, du secret des étendues marines, la longue
tradition administrative des pays de la CPLP (Brésil, Macao, Portugal) sont
tout aussi utiles au redémarrage de la Guinée-Bissau. Le redressement du
système éducatif et la mise en place d'une administration efficiente ne peuvent
se faire à mon avis que dans l’espace lusophone.
Côté militaire, la
lusophonie offre des perspectives utiles et décisives. L’existence d’armées aux
capacités de propulsion transcontinentales avec de solides pratiques de
terrain, aiderait à réformer puis à restructurer le secteur de la défense et de
la sécurité tant décrié. Un livre blanc de la défense doit être élaboré en
étroite collaboration avec les partenaires lusophones.
Se
positionner intelligemment
En définitive, la
vision stratégique et géostratégique de la Guinée-Bissau doit être plus ouverte
et ne pas s’adosser à un bloc au détriment d’un autre. Elle ne doit non plus se
contenter seulement de recevoir, mais aussi d'offrir ses innombrables
avantages. Bref, seule une continuité diplomatique et stratégique sachant
dresser les partenariats prioritaires et stratégiques peut transformer les
multiples appartenances en opportunités de développement.
Dos Santos SANCA (Ph.D).