Jeune Afrique : quand « Jomav » joue à l’apprenti sorcier
Publié le 01 septembre 2015 à 09h23
Par Claire Rainfroy et Mehdi Ba
Le chef de l'État a invoqué « une crise de confiance » nuisant au « bon fonctionnement des institutions ». © Sia Kambou/AFP
En
limogeant son Premier ministre contre l'avis de tous - et même de son
parti -, le président José Mário Vaz prend le risque de replonger son
pays dans l'instabilité.
«Il est regrettable qu’au moment où des consultations étaient en cours le président José Mário Vaz ait
exacerbé les tensions en intronisant un nouveau Premier ministre. »
Dans son tweet, le président nigérian, Muhammadu Buhari, ne s’embarrasse
pas de diplomatie à l’endroit de son homologue bissau-guinéen. Adepte
du passage en force, « Jomav », élu en mai 2014,
a amorcé le 12 août une crise potentiellement désastreuse pour ce pays
soumis depuis trente-cinq ans à une instabilité politique chronique. Sa
décision de remplacer à la hussarde son populaire Premier ministre, Domingos Simões Pereira (alias « DSP »), fait, depuis, l’unanimité contre elle.
Le nouveau chef du gouvernement, Baciro Djà, aura du mal à obtenir la confiance de l’Assemblée
Jomav versus DSP
Entre
Jomav et DSP, tous deux militants du Parti africain pour l’indépendance
de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), la crise couvait depuis plusieurs
mois. Il est vrai que le régime bicéphale en vigueur en Guinée-Bissau
accouche à intervalles réguliers de rivalités entre le président et son
Premier ministre – issu de la majorité parlementaire et qui est le
véritable homme fort de l’exécutif.
La
feuille de route qu’avaient endossée les deux hommes un an plus tôt
était pourtant claire : redresser et stabiliser le pays, devenu exsangue
et ingouvernable après deux années de transition qui faisaient suite au
coup d’État militaire d’avril 2012. Mais, le 12 août, Jomav invoquait «
une crise de confiance » au sommet de l’État nuisant au « bon
fonctionnement des institutions » pour limoger brutalement son rival.
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Une décision présidentielle contestée
Depuis,
le président fait face à une pluie de désaveux. Tandis que le Portugal
menaçait de suspendre son aide financière en cas de nouvelle crise
politique, José Ramos-Horta, l’ancien président du Timor-Oriental (un
autre pays lusophone), qui fut aussi le représentant spécial du
secrétaire général de l’ONU en Guinée-Bissau, appelait le gouvernement
timorais à suspendre les accords de coopération entre les deux pays. À
Bissau, le PAIGC comme le Parti de la rénovation sociale (PRS, deuxième
force politique du pays, associée au gouvernement d’ouverture nommé en
juillet 2014) ont aussitôt désavoué l’initiative présidentielle, tandis
que la société civile appelait à un vaste mouvement de désobéissance.
Cette
fronde n’a pas incité José Mário Vaz à opter pour le compromis. Tandis
que le PAIGC, qui détient la majorité absolue à l’Assemblée nationale,
invoquait ses propres statuts pour contraindre le chef de l’État à
nommer de nouveau DSP, en sa qualité de président du parti, au poste de
Premier ministre, Jomav a préféré investir Baciro Djá, troisième
vice-président du PAIGC, provoquant la colère de ses camarades.
Destitution du chef de l’État ?
Même
défiance à l’Assemblée, où les députés, réunis en session
extraordinaire, ont adopté le 24 août à une large majorité une
résolution demandant le départ de Djá. Autant dire que ce dernier semble
mal parti pour obtenir des élus le vote de confiance requis par la
Constitution. En cas de blocage, une dissolution de l’Assemblée n’est
pas exclue, ce qui replongerait le pays dans un régime de transition
bancal et dans une nouvelle campagne électorale.
«
José Mário Vaz n’écoute plus personne. C’est un homme seul, désormais
», s’indigne le porte-parole du PAIGC, João Bernardo Vieira. « Vous
verrez que les cadres du PAIGC vont bientôt se ranger de son côté », se
rassure quant à lui un conseiller du président, qui considère que ce
dernier « a pris la bonne décision » en nommant un nouveau Premier
ministre. Du côté du PRS, une position officielle sur la nomination de
Baciro Djá devait être adoptée pendant le week-end. Off the record,
face au jusqu’au-boutisme de Jomav, des responsables politiques ne font
pas mystère de leur intention d’obtenir la destitution de l’aventureux
chef de l’État.